Viol en Ehpad
Viol en Ehpad, classé sans suite et enterré par FranceInfo.
En 2013, alors qu’elle est âgée de 92 ans et qu’elle est hémiplégique, Madame P. est victime d’un viol à l’Ehpad de Montrevel-en-Bresse, dans l’Ain, où elle est résidente depuis moins d’un an. Le 12 mars 2015, une ordonnance de non-lieu est délivrée par Mme Carole Bataillard, vice-présidente chargée des fonctions de juge d’instruction au TGI de Bourg-en-Bresse. Le 8 octobre 2015, cette ordonnance est confirmée par l’avocate générale de la cour d’appel de Lyon, Fabienne Goget.
Le 25 octobre 2015, un des petits-enfants de Mme P. Fabrice B., que sa grand-mère a élevé, me sollicite en tant que président de l’association Droits & Liberté et me demande s’il me serait possible de présenter un dossier de recours auprès de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH). Le jeune homme, déjà physiquement affaibli par la rechute d’un cancer initialement traité en 2012, est très affecté par la décision de non-lieu ; il souffre d’une dépression réactionnelle.
Afin d’établir l’objectivité des faits qui composent cette affaire, il m’est apparu nécessaire d’établir la chronologie détaillée qui suit. Cet exposé se fonde sur des documents judiciaires, des expertises médicales et diverses correspondances. Quoique notre association de défense des droits de l’Homme se soit aujourd’hui saisie de ce dossier, je précise que j’assume la responsabilité pleine et entière de son contenu.
· 7 avril 2013. À 15 h 45, Mme P. est retrouvée dans les toilettes du rez-de-chaussée, où n'est pas situé son logement, assise sur une chaise roulante qui n’est pas la sienne. Le membre du personnel qui l’avait conduite en ce lieu l’y avait malencontreusement oubliée (le 7 avril est un dimanche…). Elle a été violée ; elle présente des lésions génitales et des traces de coups et blessures (traumatisme facial avec fracture du nez et du maxillaire gauche) qui ont été portés au moyen d’un balai-brosse abandonné sur place.
C’est seulement à 17 heures que les gendarmes sont informés des faits par le médecin de garde. Arrivés sur les lieux de l’agression à 17 h 15, ils constatent que « la scène du crime » a été nettoyée.
Mme P. est transportée aux urgences du centre hospitalier régional Fleyriat. Elle a toute sa tête. Elle déclare qu’elle a subi des menaces de mort et qu’elle a été victime d’une tentative d’étouffement au moyen d’une éponge. Elle précise que son agresseur était accompagné d’une femme, qu’il était âgé d’une trentaine d’années et qu’il est « moche ». « On ne fait pas des choses comme ça », répète-t-elle à dans le service de gynécologie où elle a été admise.
Une enquête de flagrance, dite de coercition, est aussitôt ouverte pour agression (articles 222-27 à 222-30 du Code pénal). Compte-tenu de la gravité des faits, elle aurait dû déboucher sur la désignation d’un juge d’instruction à l’issue d’un délai de huit jours, éventuellement renouvelable. Mais cela n’a pas été le cas.
À une date qui reste aujourd’hui encore indéterminée, un premier médecin légiste arrête, pénalement, une incapacité de travail de quinze jours au nom de Mme P.
· 11 avril 2013. Mme W., fille et tutrice de Mme P., dépose plainte avec le soutien de la fratrie.
· 26 avril 2013. Une réquisition est ordonnée par un substitut du procureur dans la cadre d’une enquête préliminaire, toujours pour agression.
· 12 juillet 2013. Nouvelle plainte de la tutrice, avec constitution de partie civile. Mais le formalisme de la procédure n’est pas respecté, et le lien filial et la représentation de la fratrie sont omis.
· 13 septembre 2013. Cinq mois après les faits, une enquête judiciaire est enfin ouverte pour viol sur personne vulnérable (article 222-23 du Code pénal). Un juge d’instruction est désigné.
· 25 octobre 2013. Sur désignation du juge d’instruction, un second médecin légiste identifie les lésions de la victime en rapport avec l’agression : « Fractures des os propres du nez, fracture de la partie antérieure du sinus, hématome du bras gauche et du pouce gauche, lésions génitales. » Sur le plan pénal, il arrête à trente jours « une incapacité totale de travail ».
· 9 novembre 2013. Un psychiatre, expert judiciaire, considère « la vulnérabilité (de la victime) comme établie, en raison notamment de ses troubles de mémoire et de la perte de ses facultés intellectuelles ». Semblable vulnérabilité aggrave les peines prévues en répression d’un viol.
· 1er janvier 2014. Martin Ortega, directeur hors cadre à Montrevel-en-Bresse, est affecté au centre hospitalier spécialisé Saint-Ylie-Jura comme responsable ressources humaines.
· 21 mai 2014. Plus d’un an après le viol, la directrice-adjointe de l’Ehpad informe un des enfants de Mme Pettini qu’elle « a diligenté une enquête administrative interne concernant l’agression ».
· 30 mai 2014. Mme P. s’éteint. Pendant près d’un an, elle a été maintenue cloîtrée dans sa chambre, à l’écart des séances d’animation collective organisées par l’établissement et auxquelles elle aimait participer. On la faisait seulement lever chaque jour vers 16 heures.
Ce même jour, soit treize mois après l’agression, Blanche Denia, directeur-adjoint de l’Ehpad depuis le 1er janvier 2013 (Mme Denia occupe simultanément le même poste à l’Ehpad de Pont-de-Vaux), diligente une enquête administrative, sur la demande insistante de la famille.
· 12 septembre 2014. Un réquisitoire définitif de non-lieu est émis par le vice-procureur, Henri de Montaigne de Poncins, faute de l’identification d’un suspect.
· 12 mars 2015. L’ordonnance de non-lieu est délivrée.
· 24 mars 2015. L’avocat de Mme P.i, Jacques Frémion, confirme : « Il n’est donc pas possible de retenir contre qui que soit des charges concernant l’infraction dont a été victime Madame... » Il n'a jamais reçu la famille !
· 12 juin 2017. Lors d’une rencontre à la Cour de cassation, Denis Mondon, le procureur de l’époque, me confirme avoir déclaré à son équipe que Mme P. avait bien pâti d’un « défaut de surveillance ». Il me conseille de contacter Mme Carole Bataillard, chargée de l’instruction, alors que le juge d’instruction substituant étant M. Antoine Molinar-Min.
Ayant informé la famille de cet échange, je l’incite à engager une autre procédure de saisine des juridictions compétentes préalablement à celle de la Cour européenne des droits de l’Homme. Tous les recours n’ayant pas été épuisés, cette démarche est en effet obligatoire.
· 18 et 19 novembre 2017. Je me rends à Bourg-en-Bresse afin de réunir des documents indispensables pour « déconstruire » la procédure justifiant le non-lieu. Je rencontre deux des enfants de Me P. qui souhaitent « poursuivre la recherche de la vérité » de concert avec le petit-fils. Ils acceptent le coût financier de la saisine du tribunal administratif de Lyon.
· 24 novembre 2017. Vincent Lanier, journaliste au quotidien régional Le Progrès, me confirme que le dossier Pettini est entravé par « un gros black-out du procureur, des gendarmes et de la direction de la maison de retraite ».
· 17 décembre 2017. Les deux filles et le petit-fils de Mme P. prennent attache auprès d’une avocate en droit administratif que je leur recommande, Mme Caroline Gras, du barreau de Lyon, pour dénoncer un « défaut de surveillance ». En effet, en référence de l’article 1383 du Code civil, la faute extracontractuelle ne requiert pas d’élément intentionnel.
Parvenu à ce point, il me paraît indispensable de faire état de plusieurs observations :
1. La maison de retraite (Ehpad) où résidait Mme P. relève de la compétence de la communauté de communes de Montrevel-en-Bresse (Ain). Au titre de ses compétences optionnelles, cette communauté de communes est tenue de prendre en charge diverses compétences, dont celle du rattachement de l’Établissement hospitalier pour personnes âgées dépendantes à la communauté de communes. À la date des faits, elle était déjà présidée par Jean-Pierre Roche, président du Conseil d’Administration, maire de la commune, président de la communauté de communes, et vice-président du Conseil général. Ce dernier était donc soumis à l’article L. 2122-31 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) l’astreignant à diligenter une enquête administrative interne dans les cas de ce genre. Il s’est pourtant abstenu de le faire, de même que le directeur de la maison de retraite, Martin Ortega, et que le président du conseil de surveillance, Jean-Pierre Goyard, médecin généraliste à Foissiat.
2. L’enquête administrative réalisée, le 30 mai 2014, n’a donc pas été menée sur les instructions du juge d’instruction (article 81, alinéa 6 du Code de procédure pénale) ni sur celles du procureur de la République (article 41 du Code de procédure pénale).
3. Comment faut-il interpréter la négligence qui caractérise en l’occurrence l’attitude du Parquet, alors que la sauvagerie de ce « viol sur personne vulnérable » exigeait une plus grande réactivité de sa part, ainsi que la garde à vue du donneur d’ordre et de l’exécutant afin de connaître les raisons du nettoyage de la scène supposée de l’agression.
4. Selon les membres de la famille de Mme P., cette dernière « avait peur » de deux employés de l’Ehpad, M. Q. et Mme C. Concernant cette dernière, les craintes de Mme Pettini sont postérieures à l’agression. De plus, les menaces de mort proférées à son encontre laissent supposer que Mme P. connaissait son agresseur ainsi que la femme qui l’accompagnait. A une dess filles, qui lui demandait pourquoi elle s’enfermait dans le silence, elle répondait invariablement : « Je ne dis rien, je vous protège. »
5. D’un point de vue médical, il est également loisible de se demander pourquoi les troubles psycho-traumatiques de Mmee P. n’ont pas été décrits comme les conséquences neuropsychologiques caractéristiques et normales de tout acte de violence.
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· 28 avril 2018. Caroline Gras, avocate au cabinet Selas Agis, spécialisée en droit public, dépose devant le tribunal administratif une requête introductive d’instance. L’intention de Droits & Liberté est d’obtenir l’ouverture d’une procédure judiciaire, après lecture des fiches de transmissions ciblées de l’Ehpad. En effet, selon nous, l’enquête administrative devrait mettre en évidence l’insuffisance criante de personnel qualifié ainsi qu’un déclassement des tâches (qui fait quoi ?), tout en dévoilant des éléments nouveaux permettant de répondre à deux questions :
– A qui appartient l’ADN non identifié prélevé sur le fauteuil roulant de Mme P. ?
– Pourquoi ce fauteuil n’était-il pas celui dont elle ne se séparait jamais, qui était adapté à son handicap moteur, et que lui avait procuré par petit-fils, Fabrice Borget, lui-même animateur en Ehpad ?
Rappelons qu’en droit de la responsabilité hospitalière deux types de responsabilités s’articulant sur la faute coexistent principalement :
– La responsabilité civile est engagée dans le cas d’un préjudice causé à un tiers. Elle ne peut être engagée que s’il existe un dommage, appelé aussi préjudice.
– La responsabilité pénale est engagée en cas d’infraction réprimée par le Code pénal.
Le dommage peut se singulariser et se combiner en tant que dommage matériel, corporel, moral, en tant que douleur, perte d’une chance ou d’un gain, ou encore en tant que préjudice subi par ricochet par les proches, ou en tant que troubles occasionnés dans les conditions d'existence.
Comme nous l’avons expliqué aux requérants, le dommage doit répondre à certaines caractéristiques. Il doit être cumulativement :
– spécial : la victime doit avoir directement subi le préjudice, et non s'insérer dans un mouvement d'indemnisation abusif. La question semble superflue en matière de responsabilité pour faute, mais son utilité se précise dès lors qu’on détaille la notion de responsabilité sans faute.
– anormal : ce critère relève également de la responsabilité sans faute. Il est traditionnel de dire que le préjudice doit « excéder les inconvénients normaux de la vie en société ».
– certain : le préjudice peut être actuel ou futur, mais il ne doit être ni éventuel ni seulement probable.
Notons que, selon l’article 1384, alinéa 1, du Code civil, la jurisprudence retient la responsabilité sans faute des établissements sur le principe qu’ils sont responsables non seulement du dommage causé par leur propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait de personnes dont ils doivent répondre et de choses qu’ils ont sous leur garde. En effet, la faute extracontractuelle ne requiert pas d’élément intentionnel. Elle peut consister en un acte d’imprudence ou de négligence (article 1383 du Code civil ). C’est le « défaut de surveillance » que le procureur Denis Mondon dit avoir notifié à son équipe.
Toutefois, pour que le préjudice soit indemnisable, il appartient au juge et à lui seul d’estimer qu'il s'agit bien d’un intérêt légitime, la réparation devant être intégrale.
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· 5 septembre 2018. Dans le mémoire déposé par l’Ehpad, il est affirmé que :
1. « Mme P. avait pour habitude de se déplacer seule en fauteuil roulant. »
2. « Le 7 avril 2013, Mme P., participait vraisemblablement (sic, souligné par nous) à une animation organisée dans la salle prévue à cet effet au rez-de-chaussée de l’établissement. »
3. « À 14 heures, alors que Mme Pettini se trouvait dans les toilettes du rez-de-chaussée jouxtant la salle d’animation, cette dernière a sonné, car ayant besoin d’aide pour s’installer sur les WC. Mme D., aide-soignante, l’installait. Lorsque Mme P. a eu terminé, Mme D. lui a demandé si elle souhaitait rester en salle d’animation ou remonter dans sa chambre. Mme P. a indiqué vouloir rester en salle d’animation. À 14 h 15, Mme D, à la fin de son poste, a vu Mme P. devant l’aquarium dans la salle d’animation ou elle l’avait installée. »
4. « À 15 h 30, Mme P. a activé son appel malade. Mme .J, agent de service hospitalier qualifié, se rend en salle d’animation et ne trouve pas Mme P.. Elle interroge alors les autres résidents présents. »
5. « Mme J. se rend aux toilettes du rez-de-chaussée et trouve alors Mme P.. Cette dernière est tombée de son fauteuil et porte des traces de sang sur le visage. Mme Jeandin remonte Mme P. sur son fauteuil afin de la mettre en sécurité et alerte immédiatement M. Deux (agent de service hospitalier qualifié), ainsi que l'infirmier. Ce dernier a découvert Mme P. le visage tuméfié, assise sur son fauteuil. Les trois soignants n’observent aucune trace de sang au sol, ni sur les éléments meublants les sanitaires. »
6. « L'infirmier questionne alors la résidente, qui lui indique qu’elle aurait été frappée par un individu qui lui aurait fait subir des attouchements. L’infirmier fait remonter Mme P. dans sa chambre et la fait installé dans son lit. Quand les aides-soignantes veulent placer une protection d’incontinence, elles découvrent le sang sur le bas-ventre de Mme P.. Elles reposent la jupe, ne touchent plus à rien, et avisent immédiatement l’infirmier, qui vient constater les dires des deux aides-soignantes. »
7. « L’infirmier contacte alors le docteur Brantus, médecin traitant de Mme P., qui arrive immédiatement sur les lieux, prévient les gendarmes, ainsi que la famille de Mme P.. »
Lors d’une procédure de premier et de second degré, il convient de « faire parler » les faits. Nous allons donc tenter de souligner les incohérences qui les caractérisent :
1. Hémiplégique, Denise Pettini, ne pouvait se déplacer que dans son fauteuil roulant, ce pour quoi une aide lui était indispensable. Mais, comme nous l’avons déjà signalé, on ne l’a pas retrouvée ce jour-là dans son fauteuil habituel.
2. Pour autant que nous le sachions, aucun Ehpad n’organise d’animation le dimanche. Ce jour est consacré aux visites des familles, et les effectifs sont réduits en conséquence.
3. La déclaration de l’aide-soignante Mme D. contredit ce que nous ont confié, le 18 novembre 2018, les enfants et petits-enfants de Mme P. à propos des siestes postprandiales de cette dernière, à moins que Mme P.i n’ait exigé d’être conduite à la salle de restauration du RdC, quoique cette salle soit normalement fermée à 14 heures. En outre, nul n’ignorait à l’Ehpad que Mme P. refusait systématiquement de se rendre dans des toilettes autres que celles de sa chambre.
4. Dans le non-lieu, il est précisé que Mme P. a été découverte à 15 h 45, et non à 15 h 30 comme l’affirme Mme J.. Où se trouvait alors Mme J., agent de service hospitalier qualifié, puisque aucune surveillance n’était assurée au rez-de-chaussée, alors que, selon l’Ehpad, d’autres résidents y étaient présents ?
5. Mme J. réinstalle seule Mme P. dans son fauteuil, alors même que Mme P. est « tombée de son fauteuil et porte des traces de sang sur le visage ». Mme J. alerte ensuite M. Deux, présenté par l’Ehpad comme un agent de services hospitalier qualifié, ainsi que l'infirmier (exerçant en 2013 en profession libérale, 3 rue Lazare Carnot à Bourg-en-Bresse), ce qui confirme que ces derniers étaient absents du rez-de-chaussée.
6. Pourquoi l’infirmier fait-il installer Mme P. dans sa chambre, sans appeler immédiatement les urgences et la gendarmerie, alors que, selon le premier médecin-légiste, « la victime présentait un traumatisme facial avec fracture du maxillaire gauche et fracture du nez, ainsi que des traces d'une agression sexuelle avec pénétration digitale ») ? Qui plus est, l'infirmier n’est pas présent quand les « aides-soignantes … découvrent le sang sur le bas-ventre de Mme P. ».
7. Le docteur Pierre Brantus, médecin généraliste, donc exerçant en profession libérale, habite à Montrevel-en-Bresse. Il est le premier prévenu, et il arrive sur-le-champ. C’est lui qui est faussement présenté, dans les conclusions de l’Ehpad, comme le médecin traitant de la victime. Le médecin de Mme P., sera averti ultérieurement par la cadre de santé de l’Ehpad, Mme Élisabeth Dubost, absente le dimanche. La famille, en revanche, n’est pas informée.
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· 26 novembre 2018. Par l’intermédiaire d'une des filles, nous demandons la copie du dossier médical de Denise Pettini, en référence :
– De la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé ;
– Du décret n° 2002-637 du 29 avril 2002 relatif à l’accès aux informations personnelles détenues par les professionnels et les établissements de santé en application des articles L. 1111-7 et L. 1112-1 du Code de la santé publique ;
– De l’arrêté du 5 mars 2004 portant homologation des recommandations de bonnes pratiques relatives à l’accès aux informations concernant la santé d’une personne, et notamment l’accompagnement de cet accès.
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· 17 février 2019. Après étude des fiches de transmission ciblées de l’Ehpad de Montrevel-en-Bresse (non complètes, la direction ayant refusé la transmission des fiches 38 à 44) et de l’hôpital Fleyriat de Bourg-en-Bresse, nous informons les requérants des commentaires que ces documents nous inspirent, en nous rendant à nouveau dans l’Ain les 17 et 18 mars 2019.
1. Dans ses conclusions, l’avocat de l’Ehpad précise que « le 7 avril 2013, jour des faits, étaient présente : Cinq aides-soignants dont deux qualifiées, deux infirmiers et un médecin ». Il convient de comprendre que cette présence s’étend sur vingt-quatre heures.
2. De plus, les deux infirmiers et le médecin exercent tous les trois en profession libérale. Ils ne sont donc pas sur place en permanence.
3. Quant au personnel qualifié cité par l’EHPAD, une seule des deux aides-soignantes est en possession d’un diplôme d'Etat d'aide-soignant (DEAS). Mme J. et M. Deux, quant à eux, sont présentés comme agents de service hospitalier qualifié (ASHQ), ce qui signifie que leur qualification est attribuée par l’établissement, après recrutement et sans condition de titres ou de diplômes. Un décret du 18 avril 1989 portant sur la fonction publique hospitalière (modifié par le décret 2000-844 du 31 août 2008) précise que «Les agents des services hospitaliers qualifiés (ASHQ) sont chargés de l’entretien et de l’hygiène des locaux de soins et participent aux tâches permettant d’assurer le confort des malades. Ils ne participent pas aux soins des malades et des personnes hospitalisées ou hébergées ».
4. Au total, il manque donc une personne dans le décompte du personnel figurant dans les conclusions de l’Ehpad.
5. Quant aux fiches de transmissions ciblées, une série d’éléments y figurant ne peut manquer de susciter une réelle perplexité :
a. Dans la nuit du 19 au 20 mars, on note : « N’a pas dormi de la nuit ; sonne +++ ; se lève 10 fois par nuit pour aller sur la chaise-pot, ne fait que quelques gouttes ; très demandeuse ; revoir le traitement de nuit. »
b. Le 4 avril, une AS relève : « La résidente sonne beaucoup cet après-midi ; propos incohérents ; désorientée dans le temps. »
c. Ce même jour, en raison de la surexcitation de Mme P., son médecin traitant augmente la posologie du Lysanxia qu’il lui a prescrit, soit 8 + 8 + 15 gouttes, ce qui représente 22 mg par jour, avec un effet cumulatif connu. À ce taux, le rapport bénéfice/risque est défavorable chez la personne âgée. De plus, une action sur les sphincters vésicaux à l’origine de l’aggravation d’une incontinence urinaire (par effet myorelaxant essentiellement) est signalée lors de l’usage de ce produit.
d. Une agent de service hospitalier qualifié et non aide-soignante, est seule à assurer le service de nuit du 6 au 7 avril. Et cela pour une population de 120 résidents. Elle signale le « comportement » et l’ « insomnie » de Denise Pettini.
e. Le 7 avril, Mme M., infirmière libérale, estime qu’il est de son devoir de suspendre l’administration de Lysanxia, parce que la molécule a l’effet inverse de celui que cherche à produire le médecin traitant. Cette décision est conforme à ses obligations, puisque l’article R. 4312-42 CSP rappelle que " Si l'infirmier a un doute sur la prescription, il la vérifie auprès de son auteur ou, en cas d'impossibilité, auprès d'un autre membre de la profession concernée. En cas d'impossibilité de vérification et de risques manifestes et imminents pour la santé du patient, il adopte, en vertu de ses compétences propres, l'attitude qui permet de préserver au mieux la santé du patient, et ne fait prendre à ce dernier aucun risque injustifié. » L’infirmière note vers midi : « Endormie, (vit au) ralenti. » L’état induit par ce médicament (confusion mentale et dysurie) explique que Mme P. n’ait pas pu se rendre au déjeuner de 11 h 45 dans la salle du rez-de-chaussée, ni dans celle du premier étage, réservée aux résidents ayant besoin d’une aide pour s’alimenter.
En vertu de son principe actif, le Prazépam, le Lysanxia est un dérivé de la benzodiazépine, molécule employée comme tranquillisant et possédant des propriétés sédatives, hypnotiques (facilitant le sommeil), anti-convulsivantes et amnésiantes (inhibant la mémoire). Un certain nombre d’effets indésirables des benzodiazépines sont plus fréquents avec l’âge. Il s’agit d’une sédation trop marquée, d’une majoration du risque d’hypotension orthostatique. L’arrêté du 7 octobre 1991 limite la prescription de tranquillisants à douze semaines. De plus, l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSPS) recommande de privilégier les substances d'action intermédiaire et sans métabolite actif (dites à « demi-vie courte »), car il existe un risque d'accumulation du médicament ou de ses métabolites lors de prises répétées (http://www.ameli.fr/fileadmin/user_upload/documents/lettre-medecins-n18-memo-benzo.pdf). Le 7 avril 2013, lors de l’admission de Mme P. aux urgences de l’hôpital Fleyriat de Bourg-en-Bresse la rubrique « traitement actuel » se singularise par un blanc inhabituel. Toutefois, la prescription de Lysanxia a bien été supprimée, puisque confirmée par le docteur Gaudry.
f. Les noms du personnel présents le 7 avril 2013 n’apparaissent pas. C’est l’infirmière libérale, Mme M., qui écrit ce que son confrère lui a dit.
g. Le nom de Mme J. (ASHQ) n’apparaît qu’à la date du 15 avril.
h. Le 30 avril, l’infirmière, Mme B., relève l’incompréhension de la famille concernant l’absence de « prise en charge psychologique de leur maman… alors que cette mesure a été mise en place à l’hôpital Fleyriat ».
6 Le 5 juillet 2013, en réponse au courrier qui lui a été adressé en date du 22 mai 2013 par la fille et tutrice de Mme P., la ministre de la Santé, Michèle Delaunay, répond par l’intermédiaire de son chef de cabinet qu’à sa « demande, les services de l’Agence régionale de santé (AES)-délégation territoriale de l’Ain se sont aussitôt mis en relation avec l’établissement. Il ressort que la direction avait déjà pris des dispositions pour assurer un accompagnement psychologique tant vis-à-vis de votre mère, de vous-même et de votre sœur, ainsi que des autres résidents ».
Ce mensonge de la direction est confondant : si elle en a reçu un à l’hôpital Fleyriat, Mme P. n’a bénéficié à l’Ehpad d’un soutien psychologique qu’après la demande la famille, le 30 avril 2013.
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Si nous entendons par « imagination » la faculté de produire, à partir d’éléments épars, une synthèse porteuse de signification, il nous est désormais possible d’imaginer les circonstances du viol.
Les nuits précédant l’agression, Mme P. était agitée : elle dormait très peu et sonnait très souvent. Elle présentait un état confusionnel, dû peut-être à des visites inopinées dans sa chambre, peut-être au Prazépam prescrit par son médecin traitant. Contrairement à la prescription recommandée dès lors qu’un effet inverse est obtenu, ce praticien avait augmenté la dose de Lysancia le 4 avril.
Denise Pettini se réveille peu avant 14 heures, au moment du changement d’équipe dans la salle commune du premier étage. Elle réclame son repas, ou bien manifeste une envie mictionnelle pressante. Deux personnes entrent dans sa chambre, une femme et un homme selon Mme P..
Tandis que Mme P. affirme avoir été violée dans sa chambre, le personnel assure qu'elle a été retrouvée au rez-de-chaussée. S'agit-il d'une amnésie post-événementielle ? Ou bien, pour une raison inconnue ou en raison de son exigence de prendre son repas en salle comme les jours précédents, Denise Pettini a-t-elle été transportée au rez-de-chaussée par l’aide-soignante de service ?
A 15 h 30, Denise Pettini active son appel malade. Elle est « retrouvée » par Mme J., à terre et le visage tuméfié. A l’infirmier appelé par l’ASHQ, Mme P. « indique qu’elle aurait été frappée par un individu qui lui aurait faire subir des attouchements ». Que s’est-il donc passé entre 14 h 15 et 15 h 45 ?
Ce n’est qu’à 17 heures que la gendarmerie est informée de ces violences. A 17 h 15, Mme P. est conduite à l’ambulance qui va la mener aux urgences de l’hôpital de Fleyriat, à Bourg-en-Bresse, par une employée qui ne figure pas dans le rapport administratif de l’Ehpad. Sur les fiches de transmissions ciblées, ce nom n’apparaît que le 26 avril.
Nous supposons que cette personne était employée en tant qu’aide-soignante et qu’elle remplaçait l'aide-soignante l’après-midi, sans pour autant pouvoir se prévaloir d’un diplôme d'État enregistré en préfecture. Précisons que si des aides-soignantes exercent « en binôme », au moins l’une d’entre elle doit être diplômée et être présente l’après-midi.
On peut en outre constater que les fiches de transmission signées par cette personne après le 7 avril 2013 dénotent par rapport à celles de ses collègues, plus particulièrement celle du 18 octobre, à 19 heures : « Mme Pettini a évoqué son agression, a dit qu’elle avait peur depuis que cet homme voulait la tuer et disait “Kapout”. Je discute avec elle. Elle me dit qu’elle pense souvent à ce mauvais moment, mais qu’elle ne veut pas le montrer et qu’elle veut penser à autre chose. Me dit qu’elle a vu un médecin il y a deux jours, mais qu’il n’y pas de nouvelles de cet homme, qu’elle aimerait qu’il soit retrouvé pour qu’elle puisse dire enfin ouf ».
Un autre détail ne laisse pas de surprendre : parmi les personnes présentes à l’Ehpad, trois habitent non loin de là, dans le même village : Le mari d'une de ces persones était connu pour ses états éthyliques manifestes, avec violence des propos et des gestes. Quant à cette personne elle-même, elle est originaire, tout comme son mari, du même village que Mme P.. Cette dernière connaissait donc tout ce petit monde bien avant son admission dans l’Ehpad de Montrevel-en-Bresse…
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Conclusion
En traitant en préliminaire ce dossier criminel, le Parquet a agi avec légèreté, tout en manifestant son peu de respect pour le viol d’une femme de 92 ans. L’ouverture d’une information directement après l’enquête de flagrance aurait été autrement efficace, en impliquant au mieux les services de la gendarmerie face au corps médical et aux politiques locaux. Les manquements que nous avons constatés engagent la responsabilité de l’Etat.
Les faits que nous avons relevés nous ont amenés à inviter la famille P. à déposer plainte contre X pour obstruction à la manifestation de la vérité.
En effet, la Chambre criminelle est assez libérale quant à la production de preuves. Elle admet d’une part que la partie considérée comme la plus faible peut apporter la preuve par tous moyens. Bien que cette dernière soit libre en matière pénale, la présomption d’innocence doit toujours s’appliquer. Le doute sur la culpabilité d'un suspect lui profite (art. 6 de la CEDH, §2, « Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie »).
Mais d’autre part, lorsqu’une preuve formelle ne peut pas être établie, la même Chambre considère qu’il convient de retenir les présomptions légales et de fait [art. 1350 du C.Civ.] et les présomptions graves, précises et concordantes [art. 1353 du C.civ.].
C'est à réunir ces présomptions que s’est attaché Droits & Liberté.