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Mondialisation = devenir-monde du capitalisme

Nouvelles formes de régulation de la mondialisation : acteurs, lieux et normes.

Pour le Président MACRON, la France doit redevenir "un lieu où l'on pense le monde". Atteindre cet objectif implique donc de mobiliser l'ensemble des acteurs, d'horizons différents, d'experts et de praticiens, pour favoriser une réflexion collective et oeuvrer ensemble pour cette mondialisation.

Cela passe aussi  par une meilleure appréhension des logiques qui sous-tendent et nourissent la mondialisation : comprendre le passage d'un monde de droit à une économie de règles, et l'émergence d'une nouvelle géographique des normes où les acteurs, les "lieux" sont sans cesse en mouvement et où les relations d'interdépendances y sont renforcées, conduisant à un double paradoxe.

On assiste d'une part à une fragilisation des droits nationaux ou régionaux, mais il n'y a jamais eu par ailleurs une si forte demande de droit souple. D'autre part, le droit est devenu un espace de concurrence tout en étant aussi le domaine de multiples hybridations.

Intervenants institutionnels


Pascal LAMY,  Président émérite, Institut Jacques Delors
Justin VAISSE,  Directeur du Centre d'Analyse, de prévision et de stratégie, Ministère de l'Europe et des Affaires Etrangères
David MARTINON, ambassadeur chargé du numérique
Guy CANIVET, Président du Haut Conseil Juridique de la Place de Paris
Laurent BILI, Directeur général de la mondialisation, de la culture, de l'enseignement et du développement international.
Nicola BONUCCI, Directeur des Affaires Juridiques à l'OCDE.
Antoine BERNARD, Directeur-adjoint de Reporters sans frontières.
Sandrine CLAVEL, Présidente de la Conférence des doyens de droit.
Damien MARTINEZ, Président-fondateur de Facepoint,
Jean-Baptiste CARPENTIER, commuissaire à l'information stratégique et à la sécurité économique.
Isabelle JEGOUZO, Chef de la Représentation en France de la Commisssion Européenne,
Antoine GARAPON, Magistrat, secrétaire général de l'Institut des Hautes Etudes sur la Justice


Intervenant invité

Daniel ADAM, Militant des droits de l'Homme, adhérent de l'Institut des Hautes Etudes sur la Justice

Ma convention

    Grand merci pour cette invitation à Sarah Albertin, avocate, responsable du programme " Réguler la mondialisation".

   Mon enchantement présent émane de l'objectif que s’est fixé ConventionS, dans la "salle carrée" du  ministère de l'Europe et des Affaires étrangères: " tenter de contribuer à la réflexion commune et à l'intelligence collective ". Cette dernière étant éminemment pratique, j'aime quand elle atteint des points de disjonctions comme ce fût le cas avec la réponse inopportune d'Antoine Bernard à la question de Rémy Rougeron, représentant de Thales, portant sur l'obligation de transparence des entreprises. Antoine Bernard part d'une conception idéologique très personnelle des Droits de l'Homme, bâtie sur le logos, alors qu'aussi bien Mireille Delmas-Marty que Slavoj Zizek situent les droits de l'Homme dans des contradictions logiques.

   Pour Zizek, l'universalité réelle de la globalisation suscite sa propre fiction hégémonique de respect de protection des droits de l'Homme, tout en se conjuguant tandis que se développent les inégalités sociales induites par le marché.

   Pour Delmas-Marty, le droit se mondialise en même temps que les droits humains. Mais alors que la mondialisation du droit tend à une uniformisation de type hégémonique, la globalisation des Droits de l'Homme se heurte au risque de fragmentation voire d'éclatement de ces mêmes droits.

   La question du représentant de Thales prêtait donc matière à débat. Oni pouvait se la résumer philosophiquement en ces termes : l'entreprise doit-elle être astreinte à des préceptes moraux ? Alors qu’elle est inéluctablement soumise à la « rationalité » d'un mode de production et d'échange concurrentiel : le capitalisme. L'investisseur, soustrait aux impératifs de toute morale, ne peut que traiter le salarié comme une chose et la nature comme une énergie !

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   Le logos se donne pour intelligent en tant qu'il est parole et raison. Mais il se métamorphose parfois en metis (ruse de la raison). Pour Isabelle Jegouzoi, un fait économique peut accéder au rang de norme et se traduire par une règle de droit. C'est ainsi que j’interpréte le jugement de la Cour Suprême du Canada dans l’affaire « Monsanto contre le colza de Percy Schmeiser » (2004) où les agriculteurs dont les cultures ont été contaminées par des semences génétiquement modifiées sous brevet perdent tout droit sur leur récolte ainsi que celui de conserver des semences nécessaires à leurs cultures. Ce qui montre clairement que la propriété constitue un lien d’exclusivité entre un point d’imputation – un sujet de droit – et une chose. C'est ce sujet de droit qui précède la propriété, ou en d’autres termes l’appropriation dont le besoin, selon Selon John Locke, découle du désir de domination ! Or, le mouvement des enclosures, c’est le passage d’un système de droit d’usage à un système de droit de propriété.  Proudhon nous avait prévenu, dans sa « Recherche sur le principe du Droit et du Gouvernement »(1840), que la propriété privée n’est qu'un vol, dès lors que des fruits du travail sont insuffisants pour y donner accès. Dans La loi et l’autorité, Kropotkine est formel: « le vrai objectif de la loi » est « d’immobiliser le fait accompli ». Il confirmait la remarque de  Rousseau : " Le premier qui, ayant enclos un terrain, s'avisa de dire : Ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile " ! Il a fallu tout le poids du Code civil romain pour introduire les notions de propriété foncière illimitée qui vinrent renverser les coutumes communalistes.

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   Antoine GARAPON  a bien exposé les problèmes que nous pose la mondialisation entrant en contradiction avec l'État-nation. En effet, la mondialisation se fonde dans l’imaginaire des représentations communes, mais elle s’exerce avant tout dans des institutions et des pratiques sociales. Et il faut ajouter que ce processus s’inspire du mythe historique d’un progrès linéaire, historiquement déterminé par des « lois », emprunté à la philosophie des Lumières et au libéralisme. C'est ainsi qu'ont été développées deux approches irréconciliables de l’économie mondiale:

- La première la conçoit comme un système composé d’États en interaction ;

- La seconde comme le résultat d’un processus d’intégration des multiples réseaux d’échange sous l’effet des forces de la concurrence.

   Ces approches font silence sur une mondialisation qui trouve son origine dans l’expansionnisme irrépressible du capital. Depuis les Grandes Découvertes, le marché mondial a toujours été une condition du capitalisme et le domaine extensif de ses rapports de concurrence. La belle aventure des négociations commerciales multilatérales commence en 1944, après les accords de Bretton Woods, par la mise en place du GATT (General Agreement on Tarifs and Trades). En 1994 le GATT est mort, vive l'Organisation mondiale du commerce ! ! Grâce à cet outil,  Pascal LAMY, son directeur général, entend ériger la régulation du capitalisme en forme de gouvernance.

   Mais, selon un autre son de cloche, la mission de l'OMC serait plutôt d'éliminer tous les obstacles à la concurrence en dérégulant et en rabotant les des codes du travail, des normes fiscales et environnementales. C'est en effet à partir de 1994 que le discours économique s’est assigné des missions absolutistes : contrôler l'inflation, éliminer les déficits, libéraliser le commerce, déréglementer les échanges, baisser les impôts, rationaliser, privatiser, délocaliser, supprimer des emplois,  ! De la " Raison du moindre Etat " d' Antoine Garapon, j'ai retenu que de l' "économie des faits" à la "médecine par les preuves", les bienfaits de cette globalisation sont comparables aux vertus de l'eau de "mille-fleurs" : diabète, maladies cardio-vasculaires, asthme, rhumatismes, goutte, etc.


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    Je me sens donc bien plus proche d’un Robert Badinter qui déclarait , lors de l'Assemblée Générale de l'IHEJ de 2014, qui se tenait à la Cour des Comptes : " la mondialisation est d'abord un phénomène économique dont les acteurs essentiels sont les grandes firmes américaines. Le droit leur est assujetti." C’est ainsi que je relativise les propos de Nicola Bonneci pour qui le droit balise le chemin de la globalisation, en même temps que nous l'empruntons, Ce qui ménage une ouverture permettant une entrée sur le concept d’hégémonie de Antonio Gramsci. Ce concept part de l’idée que la probabilité de l’émergence d’un ordre économique international ouvert augmente avec la concentration du pouvoir et que l’existence de l’hégémonie est impossible sans l’hétérogénéité des acteurs, elle-même fondatrice d’asymétries au niveau économique. Le pouvoir n’existe qu’à partir du moment où les acteurs sont libres mais inégaux, donc consentants !

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Et c'est bien dans ce cadre contradictoire (Guy Canivet, Laurent Bili, Damien Martinez et surtout Jean-Baptiste Carpentier), que les juristes deviennent, par la gestion idéologique des normes internationales, les soutiers d'un navire qu'ils n'ont pas construit : on ne discute pas sur la règle, mais sur les conditions d'application de la règle ! Dans la mondialisation de la justice, et en droit comparé, le juge devient le législateur.

   Je terminerai en précisant que dans cette question de société qu'est la globalisation, il est impératif d"établir la différence entre un énoncé scientifique (donc pratiquement historicisé) et une opinion. Or, le phénomène juridique n'est pas une science mais une technologie, bien que cela n'enlève rien à l'intérêt social fondamental qui s'attache à cette activité. Comme ni le réductionnisme ni le holisme ne peuvent justifier ma place dans cette convention, je m'y reconnais philosophiquement !

25 janvier 2018

NB : L’évolution du système mondial (et du droit impérial en tout premier lieu) semble être le développement d’une machine qui impose des procédures de contractualisation continuelle conduisant à l’équilibre systémique : une machine qui engendre un appel continuel à l’autorité. La machine semble prédéterminer l’exercice de l’autorité et l’action à travers l’espace social tout entier. Chaque mouvement est fixé et ne peut chercher sa place désignée que dans le cadre du système lui-même, dans la relation hiérarchique qui lui est accordée. Ce mouvement préconstitué définit la réalité du processus de constitutionnalisation impériale de l’ordre mondial : c’est le nouveau paradigme (…) capable de fonctionner comme le centre du nouvel ordre mondial, en exerçant sur lui une régulation effective et, si nécessaire, une coercition. Michael Hardt et Antonio Negri., Empire (2000)


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