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LES AGITÉS DU BOCAL

On ment beaucoup sur le métier de journaliste. [] Toute une nuée de ressentiments l'accompagne, pointant la servilité inhérente à ceux qui l'exercent, leur collusion odieuse avec les pouvoirs, leur façon de chasser en meute, leur inconsistance aussi. La réalité est pire encore. Aude Lancelin, le Monde libre, p.35

  Dans la société néolibérale, la fonction assignée aux médias est de véhiculer massivement un discours falsificateur, redondant et sans réplique, visant à évacuer toute pensée critique et à étouffer toute initiative intellectuelle.

Selon Noam Chomsky et Edward Edward_Herman « Les groupes multimédias dominants sont de très grosses entreprises, contrôlées par des gens très riches ou des administrateurs sous étroite surveillance de propriétaires et autres forces orientées vers le profit ».

   Les informations télévisées en continu mettent quotidiennement en scène éditocrates, politiciens, marchands, vedettes du showbiz, entrepreneurs, se livrant en toute complicité à des joutes nourries de fausses analyses et de vraies flagorneries

      La morale immuable de cette imposture enseigne que tout est permis mais que rien n’est possible – en dehors des lois concurrentielles et des impératifs abstraits du marché. Au sortir de ce théâtre de boulevard, c’est toujours le spectateur qui fait office de cocu.

      L’univers médiatique est une des facettes du Spectacle. Il ne s'agit pas de ce spectacle où l’on paie pour se vider la tête des embarras de la vie. Bien au contraire, il est de ce Spectacle dont l’objet politique est d’organiser insidieusement la passivité contemplative des individus, de désamorcer leurs tendances spontanées et d’inhiber en chacun tout désir d’une vie authentiquement communautaire. Solidaire dans l'anti-corruption, je soutiens les propositions du Syndicat National des Journalistes.

     Laissons donc les avortons mercenaires s’agiter dans leur bocal. La vérité ne sort pas de leur puisard. Apprenons à nous passer d'eux.

    Occupons-nous plutôt de nous-mêmes, dans la proximité de nos territoires concrets, et dans des activités associatives qu’il nous faut apprendre à investir, à aimer et à défendre. La commune, le quartier ou le village sont les seuls endroits où notre présence au monde a encore un poids, qui nous laissent conscients de nous-mêmes, Ils sont humainement et politiquement partagés, comme lorsque nous protestons contre la fermeture d’une maternité, d’une école ou d’un hôpital ! Sans pour autant confondre la raison, l’universalisme et le capitalisme, sur un fond d’essentialisme territorial et postuler, comme Pétain, que “ La terre, elle ne ment pas” !

C'est là où je vis, partout en France, que j'expérimente tous les jours le sens de mon activisme social. Le peuple ne peut compter que sur lui-même !

Comment se satisfaire d’une situation où l’emprise des propriétaires est telle qu’elle banalise les épisodes de censure, d’autocensure, les convergences idéologiques et autres types de promotions déguisées ? Aux chantres de l’économie de marché, qui prétendaient qu’un marché ouvert pour les médias garantirait au public une véritable liberté de choix, Noam Chomsky et Edward Edward_Hermann rétorquaient qu’une telle liberté " implique notamment la possibilité de choisir parmi des options qui ne soient pas exclusivement proposées par une oligarchie dont l’objectif premier est de vendre des téléspectateurs à des publicitaires " [ La Fabrication du consentement, Agone, 2009 (éd. orig. 1988), p. 37.]. Quant à ceux qui sous-entendraient délaisser le combat contre les médias dominants en prétextant se satisfaire de l’existence de médias moins prestigieux, moins riches, moins diffusés mais plus indépendants, les auteurs signalaient : " On sait depuis longtemps que les médias sont stratifiés : la strate supérieure – en termes de prestige, de moyens et d’audience – [… ] avec le gouvernement et les agences de presse, détermine l’ordre du jour en matière d’information et produit la majeure partie des informations en direction des strates inférieures et du public."

« La mise au pas des médias par Patrick Drahi et Vincent Bolloré », ACRIMED, 29 juillet 2019

Mesure urgente

   La liberté de la presse est au fondement de toute démocratie. Pourtant, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, jamais la liberté et le pluralisme de la presse  ne semblent avoir à ce point été menacés en France. Au cours de ces dernières années, la concentration de la presse entre les mains de quelques milliardaires a atteint en France des proportions inimaginables. En 2019, plus de la moitié (51%) des 76 millions d’euros attribués en aides à la presse ont bénéficié à 6 groupes, appartenant à 8 richissimes familles ou hommes d’affaires. Ils contrôlent à eux seuls la quasi-totalité des grands médias nationaux, de la presse écrite ou de l'audiovisuel. Ces milliardaires ont presque tous comme point commun de ne pas avoir la presse ou l'information pour métier. Pourquoi ont-ils cherché à constituer ces nouveaux empires de presse ? Comment pèsent-ils sur le travail des journalistes ? Comment résister efficacement à cette mainmise sur l'information ?

    Le droit à l'information ne devrait reposer que sur un seul fondement : l'information est un bien public qui doit être accessible à tous, en n'exceptant aucun domaine de la vie économique, sociale et politique. 

     Le droit d'être informé suppose celui des journalistes de pouvoir informer. Là où les journalistes sont les plus dépendants et les plus fragilisés, c'est dans les médias de plus en plus concentrés et financiarisés. Ils sont plus surveillés que le public qu'ils sont censés informer ! La liberté d'informer est essentiellement compromise par les contraintes économiques et sociales qui pèsent sur eux. Si ces dernières sont imposées par la marchandisation de l'information, et donc l'emprise de la publicité, elles le sont également par la politique (en tant que source de l'information).

     Contrôlé par des grandes fortunes, le journalisme cadre les débats publics et escamote une partie de la réalité. Chaque soir, vingt millions de Français regardent un journal télévisé. Mais qui croit encore aux nouvelles du « 20 heures » ou aux infos en continu ?

     Un tel discrédit nourrit un immense désir : celui d’une information de qualité conçue comme un bien collectif. Les projets en ce sens abondent. Et attendent la mobilisation qui les portera au premier rang des priorités politiques.


Pour que vive la presse libre :

- Garantir aux journaux et aux journalistes les moyens de lutter efficacement contre le poids des actionnaires et de certains annonceurs, par une loi sur l'indépendance juridique des rédactions de presse.

- Réforme radicale de l'audiovisuel.

- Création d'un nouveau statut de la société de presse (ex. à but non lucratif)

- Maintien du secret des sources, y compris dans le secret défense.

- Soutien budgétaire des projets autogérés comme les coopératives ouvrières de production et d'intérêt collectif.


« User de la presse, en user sous toutes ses formes, telle est, aujourd’hui, la loi des pouvoirs qui veulent vivre. C’est fort singulier, mais cela est. (…) Dans les pays parlementaires, c’est presque toujours par la presse que périssent les gouvernements, eh bien, j’entrevois la possibilité de neutraliser la presse par la presse elle-même. Puisque c’est une si grande force que le journalisme, savez-vous ce que ferait mon gouvernement ? Il se ferait journaliste, ce serait le journalisme incarné. » (Maurice Joly, Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu)

Une règle non écrite veut que les journalistes
 ne s’interviewent pas entre eux.


    Le domaine des médias, si essentiel au tissu social, semble en proie à une dérive monolithique déroutante. Il y a une tendance troublante à cet égard, où les médias - par nature scrutateurs et investigateurs - entrent en collusion avec de puissantes sources d'information pour des raisons d'intérêt économique et partagé. On peut observer un déclin dans la pluralité des voix et une forme d'autocensure qui écarte le journalisme de sa vocation première : informer librement, de façon exhaustive et diversifiée.

   L'industrie médiatique se trouve aujourd'hui à la conjonction de pressions économiques et politiques qui entravent sa capacité à présenter une information non biaisée. Cette symbiose des médias avec les élites gouvernementales et commerciales réduit dramatiquement la diversité des perspectives, et modèle un ordre médiatique qui penche dangereusement vers la partialité. La logique du scoop et l'accès privilégié aux cercles du pouvoir ont créé un environnement ou la valeur de l'information est souvent mesurée à l'aune de son origine, et non de son exactitude ou de sa pertinence sociale.

   Dans une telle configuration, où est la place de l'anarchisme, ce mouvement qui s'érige contre toute forme de domination et qui promeut une société autogérée et solidaire? On pourrait poser la question suivante : les anarchistes peuvent-ils s'identifier au socialisme dans son sens le plus large et originel, sans se compromettre dans les mécanismes autoritaires ou réformistes du socialisme tel qu'il est souvent présenté dans nos sociétés?

   Les principes de l’anarchisme, qui reposent sur le rejet de l'autorité et la mise en avant de l'autonomie individuelle et collective, semblent être aux antipodes des pratiques actuelles du quatrième pouvoir. Il y a un paradoxe profond quand les médias, qui devraient être des espaces de libre expression et de débat, ne font preuve ni d'autonomie vis-à-vis des centres de pouvoir, ni de solidarité envers la diversité des voix qui composent la société. La véritable anarchie médiatique, celle qui se définirait par une absence de contrôle centralisé et une coopération volontaire entre journalistes et citoyens, est un idéal qui semble s'échapper de nos mains.

   Comment récupérer cet idéal? Peut-être en s'inspirant des courants hybrides comme le socialisme libertaire ou l'anarcho-syndicalisme, tentatives de conciliation entre les aspirations communes à l'émancipation et les divergences sur le rôle de l'État. À l'image de l'anarchie qui n'est point synonyme de chaos mais de coopération volontaire et de solidarité, un journalisme résolument libre et pluriel pourrait être la pierre angulaire d’une démocratie véritablement vigoureuse.

   Mais cela exige un nouveau récit, une vision renouvelée de ce que peut être un journalisme affranchi des chaînes du capital et du politisme. Cela demande la volonté farouche de contester l'ordre établi, de bannir cette dépendance aux "sources fiables" qui ne font que renforcer un système de croyances figé et de résister à cette marchandisation de l'information qui menace l'essence même de notre droit à savoir.

   Dans l'état actuel des choses, un journaliste qui remet en question le récit dominant est souvent considéré comme marginal, voire insubordonné. La règle non écrite selon laquelle les journalistes ne devraient pas s'interviewer entre eux prend un tout autre sens ici : elle n'est rien moins qu'un aveu d'une solidarité absente au sein même de la profession.

   Nous avons besoin de médias qui relaient les faits, mais aussi qui posent les questions difficiles, qui défendent l’information comme un bien commun et qui rétablissent la confiance en suscitant un débat ouvert et informé. Si nous aspirons à une démocratie participative, le chemin passe indubitablement par un journalisme exploratoire, critique et indépendant, capable de se réinventer continuellement loin des influences contraignantes du pouvoir économique et politique.

25/03/2024