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In memoriam

Ne jamais les oublier.

Bataclan
Bernard Maris

In memoriam Bernard Maris 


« 0n ne saurait méconnaître les liens multiples entre ce qui se passe sur la scène diplomatique et ce qui se passe sur les scènes nationales. » Raymond Aron [1]


    Homme de cœur, critique virulent de l’économie de marché, Bernard Maris a été assassiné lors de l’attentat perpétré contre Charlie Hebdo [2] le 7 janvier 2015.

   Avec cet hebdomadaire, l'Hyper Cacher de la porte de Vincennes, le Stade de France et Le Bataclan, Daech a choisi des cibles symboliques de notre volonté de « vivre ensemble » dans la diversité de nos opinions et de nos croyances.

    Précisons-le : rien ne peut justifier ou minimiser ces actes barbares commis au nom de l'interprétation dévoyée d'une religion. Il ne saurait être question de tolérance à l'encontre d'un islam porteur de haine et de violence. Cette forme démente de bondieuserie, qui massacre, mutile, égorge tous ceux qui ne sont pas jugés purs selon ses critères obscurantistes, doit être impitoyablement combattue.

   Mais, quoi que puisse en dire littéralement le Coran dans sa partie médinoise, la plupart des musulmans ne conçoivent pas le djihad comme un devoir consistant à combattre les ennemis de leur religion les armes à la main.

    Pourtant tout assassinat se revendiquant de l'islam nourrit sous nos contrées son lot de fantasmes et de généralisations absurdes. Les « va-t-en-guerre » oublient alors bien aisément combien le Dieu de la Bible se voulait lui aussi terrible à l’endroit des ennemis de son peuple. Ils oublient les carnages commis par les armées occidentales pendant les décennies « civilisatrices » de la colonisation. Et ils se gardent bien d'évoquer l'extermination de milliers de musulmans kurdes, syriens ou iraquiens refusant allégeance à l’État islamique

  On ne doit pas négliger le fait que le fondamentalisme ne se développe pas sur n’importe quel terreau. Il prolifère sur celui de la misère sociale, de la frustration et du racisme, suscités et entretenus dans les banlieues ghettoïsées par la cupidité du capitalisme et par son désintérêt méprisant pour ceux qu’il exploite. Les activistes, qu’ils soient fanatiques ou froidement politisés, n’ont pas plus de scrupules que ce système politico-économique : ils ont beau jeu de tirer parti de l’absence d’espoir, et de transformer en frénésie l’exaspération des plus fragiles.

    Toutefois, en se focalisant sur ce paramètre Edwy Plenel et Jean-Luc Mélenchon banalisent les massacres de Paris ; ils les  isolent d’une autre cause déterminante : la politique étrangère de la France. Ce qui revient à absoudre cette dernière de toute responsabilité.

    Depuis les attentats du 11 septembre 2001, les gouvernements occidentaux et leurs alliés (en particulier l’Arabie saoudite, avec les armes que lui vend la France) se sont engagés, sous la conduite des USA,  dans une guerre « de civilisation », provoquant quotidiennement la mort de civils parmi les populations majoritairement arabes et/ou musulmanes du Moyen-Orient. Ce terrorisme international a enfanté des monstres

    Faut-il également rappeler que, sous l'occupation soviétique de l’Afghanistan, les talibans (et donc Ben Laden) étaient considérés comme des « résistants », qu’ils étaient armés par les USA et financés par l'Arabie saoudite ? Le fondamentaliste Gulbuddin Hekmatyar, surnommé « le tueur de Russes », a été protégé par Reagan, comme il a été courtisé par Obama, alors même que ce « prédicateur » invitait ses ouailles à jeter de l’acide au visage des femmes habillées à l’occidentale !

   Aujourd’hui, nous sommes toujours en droit de nous interroger sur les conséquences géopolitiques de l'irresponsabilité du président Sarkozy. En 2007, ce dernier reçoit le dictateur Kadhafi à l'Élysée, pour mener ensuite, en 2011, la « guerre » de Libye avec l’approbation du PS (mais sans l'accord des « représentants du peuple » qui ne seront « questionnés » que 4 mois plus tard). En 2008, il invite le dictateur syrien Assad à assister au défilé du 14-Juillet, tout en faisant préciser par son émissaire (Boris Boillon) : « Nous ne ferons pas de la question des droits de l’homme une condition » à sa venue… En faisant abstraction de toute considération religieuse, il ne semble pas abusif de dire que Daech poursuit chez nous, par d’autres moyens, la politique que nous sommes accoutumés à mener dans le tiers monde.

    C'est de ce « doux merdier » et de la guerre de Libye qu'hérite le président Hollande en 2012. Il commence plutôt intelligemment son quinquennat en annonçant le retrait accéléré de nos troupes d'Afghanistan. Mais c'est bien une guerre de type colonial qu'il mène au Mali « contre les terroristes » d’Aqmi (al-Qaida au Maghreb islamique) et « pour la démocratie au Mali », alors que nul n’ignore que la démocratie est ostensiblement bafouée dans ce pays par des régimes corrompus.

   Au nord du Niger[4], l’industrie nucléaire française exploite d’immenses mines d’uranium depuis la fin des années 1960, et les USA y disposent d'une importante base de drones armés.

   En ce qui concerne la Syrie, les volte-face présidentielles témoignent de l’impuissance de l’Élysée à protéger le peuple de France. Il y avait urgence à éviter la partition d'une région déstabilisée en 2003 par l'intervention des USA en Irak. Et ce, malgré les guerres d'influence religieuse que s'y livrent les chiites, soutenus par l'Iran, et les sunnites, soutenus par les pays du Golfe [5]. D'un point de vue géopolitique, la position de la France à l’égard de ces pays est totalement irréaliste. Le président Macron nous y embourbe plus encore depuis son intronisation, tout en « faisant la leçon » au Liban et en Irak.

    « Aller répétant que tous les peuples n'aspirent qu'à la paix et que nos religions sont toutes amour et respect de l'autre est un poncif bien creux. Aussi malfaisant que les bonnes consciences et les écrits qui nous rebattent les oreilles d'une phraséologie bisounours en oubliant les brutalités d'une histoire dont on ne retient que rarement les leçons. »[6]

   Bernard Maris, comme tous ceux qui sont tombés sous les coups de Daech, a été une victime collatérale de cette économie de marché qu’il pourfendait, comme toutes celles et ceux morts ou blessés pour « ça ».

Ne l’oublions pas.

Le 27 septembre 2020

                                                                                                     Daniel Adam-Salamon

[1]Paix et guerre entre les nations, Paris, Calmann-Lévy, 1975, p. 18.

[2]Journal satirique ignoré de la France de l’ordre moral, mais fort appréciable du temps de Cavanna. Politiquement méprisable sous la direction de Philippe Vall.

[3]Qui peut penser que Sarkozy est intervenu en Lybie pour soutenir une révolution locale? Les épigones de Mélenchon prétendent aujourd'hui que ce dernier, en soutenant le renversement du régime libyen, aurait été dupé par le détournement, par Sarko l'Américain (et son majordome Fillon), du  vote de la résolution 1973, en 2011, du Conseil de sécurité de l'ONU, sur la protection des populations civiles. Cette thèse est cependant contredite par les propos tenus à l'époque par leur « maître à penser » : « Si le Front de gauche gouvernait le pays, aurait-il  regardé les bras croisés la révolution libyenne mourir comme nos prédécesseurs avec les révolutionnaires espagnols ? Non. Serions-nous intervenus directement nous-mêmes ? Non plus. Nous aurions demandé un mandat à l’ONU. C’est exactement ce qui vient de se passer. Je peux soutenir une démarche quand l’intérêt de mon pays coïncide avec celui de la révolution. » (http://www.jean-lucmelenchon.fr/2011/03/page/2/)

[4]« La production d’uranium au Niger est un cas flagrant d’exploitation postcoloniale. » In Raphaël Granvaud, Areva en Afrique. Une face cachée du nucléaire français, éd. Agone, 2012. Cette extraction du minerai atomique reste un désastre écologique et sanitaire étouffé au nom des intérêts économiques et diplomatiques de la France.

[5]Daniel Ruiz, La Montagne, édito du 18 octobre 2014 : « Ce sont des fanatiques riches qui financent les guérillas d'autres fous et prennent en otage tout un continent. »

[6]Ibid.